La victoire du Mas en Bolivie témoigne de la volonté des peuples de construire un avenir souverain (interview de Adriana Salvatierra / Le Vent se Lève)

Après une victoire triomphale aux élections présidentielles, Luis Arce a été intronisé à la présidence de Bolivie dans un climat politique tendu. Quelques jours après l’assassinat d’un syndicaliste bolivien, le nouveau président a en effet échappé à un attentat à la bombe. Nous avons interrogé Adriana Salvatierra, présidente du Sénat bolivien lors de la dernière année du mandat d’Evo Morales. Elle est revenue sur les perspectives du nouveau gouvernement, le contexte régional, mais aussi la structuration et l’agenda de l’opposition. Entretien réalisé par Denis Rogatyuk et Bruno Sommer, traduit par Lou Plaza.

Adriana Salvatierra prêtant serment en tant que présidente du Sénat bolivien © Compte public d’Adriana Salvatierra

LVSL – Dans quelle ambiance s’est déroulée la campagne électorale ces dernières semaines ?

Adriana Salvatierra – La campagne a été assez dure à cause du récit de fraude électorale construit pour légitimer le coup d’État de novembre 2019. Tout comme nous avions gagné les élections de 2019, nous avons gagné les élections de 2020, et cette fois avec une marge plus importante puisque nous avons obtenu 55 % des voix. C’est une donnée importante qui discrédite les arguments de ceux qui ont essayé de légitimer le coup d’État.

Le deuxième élément important est qu’il s’agit d’une preuve de courage de la part du peuple bolivien. La veille des élections, le gouvernement de Jeanine Áñez a mené une démonstration de force avec le soutien de la police dans les rues pour intimider le peuple bolivien. Et pourtant, ce dernier s’est fortement exprimé dans les urnes.

Cette année a également été source de nombreux et importants apprentissages pour nous en tant que militants du MAS (Movimiento al Socialismo, mouvement vers le socialisme, ndlr), une année pleine de douleurs, mais qui a ouvert une voie d’espoir essentielle.

LVSL – Le MAS a obtenu 55 % des voix, mais aussi la majorité dans les deux chambres de l’Assemblée plurinationale. Un tel résultat était-il attendu et comment l’expliquer par rapport aux élections de l’an dernier ?

AS – Nous avions calculé que nous gagnerions au premier tour, mais je n’imaginais pas que nous allions dépasser les 50 %. Cette victoire s’explique par le fait que nous avons su incarner les besoins de la population dans ce contexte difficile, alors que d’autres partis politiques s’affrontaient pour savoir qui était l’opposant légitime ou le meilleur adversaire du MAS. Nous nous sommes concentrés sur les réponses à apporter aux gens, sur la manière dont nous allions retrouver stabilité et croissance économiques, comment nous allions promouvoir un nouveau processus de création d’emplois, comment l’économie serait réactivée sous la direction de Luis Arce et David Choquehuanca.

Le deuxième élément à prendre en compte est que les gens ont pu comparer. L’opposition – qui a dénoncé pendant 14 ans le projet politique du MAS – a démontré par l’exercice du pouvoir son inefficacité, son incapacité à gérer l’appareil d’État et sa façon d’administrer le politique autour de ses intérêts de classe. Par cette comparaison rendue possible, les gens ont constaté la différence entre leur situation un an auparavant et leur situation actuelle, comment un an auparavant leur vie était organisée et comment tout cela s’était effondré, pas seulement à cause de la crise sanitaire mais à cause d’une mauvaise gestion publique.

Ainsi, le fait que notre programme ait cherché à répondre aux besoins réels de la population, et cette période où les gens ont pu comparer les projets politiques, ont vraiment été deux facteurs décisifs dans cette élection.

LVSL – Après que le MAS a été démocratiquement élu par une majorité de la population, on continue de voir divers groupes paramilitaires, ne reconnaissant pas la victoire, attaquer des groupes affiliés au MAS. Quel impact ces attaques ont-elles eu sur les mouvements sociaux et comment allez-vous aborder cette question dans les semaines à venir ?

AS – Ce que l’on constate est un échauffement de la rue visant à renforcer le leadership de Luis Fernando Camacho aux élections départementales et municipales. Il existe effectivement des groupes paramilitaires à caractère fasciste, mais ils sont toujours plus minoritaires. Même Mike Pompeo aux États-Unis a reconnu la victoire du MAS, tout comme la communauté internationale, les États, les observateurs internationaux, la Cour suprême électorale, les partis politiques qui ont participé à cette élection, tous à l’exception de Luis Fernando Camacho. Cette position devient de plus en plus isolée, sans alternative, mais elle continue de revendiquer la participation de Luis Fernando Camacho aux élections locales, afin d’en faire l’interlocuteur valable de la région.

Ce fait devrait attirer notre attention car en perdant deux circonscriptions dans l’aire urbaine, nous sommes dans des conditions défavorables pour résister à un projet autoritaire. Cela implique de restructurer l’action militante sur le territoire. Mais il me semble que l’aspect le plus problématique de la figure de Luis Fernando Camacho est son extrême conservatisme et régionalisme, une caractéristique qui a marqué sa ligne de campagne et qui a instrumentalisé la religion comme identité démographique du pouvoir. Il a aussi fait du régionalisme un étendard à imposer au pays, or ce n’est pas ce que nous cherchons à construire en tant que Boliviens et Boliviennes. Au contraire, nous croyons à l’intégration comme un élément essentiel pour le développement national. (…)

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